Byzance an 800

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lundi 3 avril 2017

Les Furies de Boras - Anders Fager

"En janvier 2013, les éditions Mirobole déboulent dans le milieu de l'imaginaire. Elles entament leur nouvelle collection Horizons Pourpres avec la publication d'un recueil de près de 350 pages : Les Furies de Borås. C'est la première publication en France d'un auteur jusque là rigoureusement inconnu sous nos latitudes, le suédois Anders Fager. Il s'agit en réalité de la traduction d'une sélection de 13 nouvelles de son anthologie-somme Samlade Svenska Kulter. C'est donc un énorme risque que prend Mirobole, surtout que le registre choisi n'est pas un des plus populaires en France : le fantastique. Enfin du moins, un fantastique largement agrémenté d'horreur et sous influence Lovecraftienne. Près de 2 ans plus tard, alors que l'aventure éditoriale de Mirobole est en passe de devenir incontournable avec des ouvrages aussi excellents que Gretel and The Dark ou Je Suis la Reine, il était temps de revenir aux origines. Le moins que l'on puisse dire, c'est que Les Furies de Borås constitue une surprise de taille.


De quoi est-il question dans ce recueil ? De monstres principalement. Qu'ils aient des traits humains ou non. Contrairement aux autres ouvrages du même type, Les Furies de Borås renferme un certain nombre d'histoires dans un univers partagé. Ce n'est pas le cas de toutes les nouvelles présentées telles que Le Vœu de l'homme brisé ou Un Point sur Västerbron. Autre originalité, le livre compte un certains nombre de novelettes, de très courtes histoires intitulées Fragments. Au nombre de cinq, ces fragments permettent de prolonger l'expérience proposée par les autres nouvelles...mais nous y reviendrons. En l'état, ce qui surprend, c'est l'homogénéité du recueil, le choix extrêmement pertinent des textes et l'ambiance cohérente qui s'en dégage. De ce côté, les Furies de Borås s'avère impeccable.


Penchons-nous ensuite sur le contenu lui-même. Le recueil s’ouvre sur la nouvelle éponyme. On y fait la connaissance de Sofie, une jeune fille à l'aspect revêche, et ses copines des villages de Borås, Värnamo et Jönköping. Elles s'embarquent pour la boîte de nuit d'Underryd en quête de garçons. Jusque là, rien de très surprenant. Sauf que la petite sortie entre filles se transforme rapidement en cauchemar. En réalité, Sofie est une veilleuse, une custodae d'une société vieille comme le monde et qui vénère une entité appelée le Messager. A chaque pleine lune, les filles emmènent un homme pour le sacrifier dans une orgie de sang, de sexe et de violence. Premier texte et première surprise. Le monde d'Anders Fager est un monde violent, où le sang côtoie le sexe, où la mort peut surgir dans les endroits les plus improbables. C'est aussi cette histoire qui va donner le ton de l'ouvrage au lecteur innocent qui ouvre par hasard le volume écrit par le suédois. Avec une écriture enlevée, un phrasé rythmé et concis, l'écrivain nordique happe son monde en quelques lignes. Véritable ouragan, Les Furies de Borås ne fait pas qu'installer une ambiance, elle pose les bases d'un univers. Cela pourtant, on ne s'en rend pas compte immédiatement car le récit suivant, Le Voeu de l'homme brisé, s'éloigne de ces considérations.


On y retrouve Bjarne, un paysan norvégien, qui voit sa vie réduite en cendres par le massacre sauvages causé par une troupe de soldats suédois. Si l'on quitte donc le Messager et Sofie, l'ambiance posée auparavant reste la même. On s'aperçoit dès ce deuxième essai qu'Anders Fager aime les entités mythologiques, ces monstres dont les racines plongent profondément dans le passé des hommes. Après le Messager, c'est Ittakkva qui entre en scène, sorte de monstruosité sans visage issue de la culture lapone. Dans les écrits du suédois, tout est en réalité question de mystères et d'énigmes angoissantes. On retrouve cette propension aux non-dits dans quasiment tous ses autres textes. Une ombre inquiétante, terriblement vieille et poussiéreuse plane sur les protagonistes de ces histoires terrifiantes. C'est le cas par exemple d'une des meilleures nouvelles du recueil : Joue avec Liam. Anders Fager nous fait pénétrer dans l'univers morbide d'un enfant pas tout à fait comme les autres. Un garçon qui adore les dinosaures et les lapins-caca. Liam aime foncièrement l'humour pipi-caca mais c'est de son âge. Le problème c'est qu'il va découvrir un trou que les lapins n'approche pas. Un trou si profond qu'une entité qu'il surnomme Deinonychus y réside...A moins que ce ne soit que l'imagination malsaine du jeune garçon ? En fait Anders Fager joue sur deux tableaux dans cette splendide nouvelle. D'abord sur la possible folie d'un enfant qu'on devine fragile, ensuite sur les ténèbres que recèlent ce terrier répugnant. Menée de main de maître, la nouvelle fait appel avec force et conviction à cet espèce de flou artistique dont raffole le suédois et qui fait tout le charme de ses écrits.


Une autre de ses marottes, comme on a pu le voir dès le départ, c'est bien évidemment le sexe. Orgie sanglante dans Les Furies de Borås, sexe déviant dans Trois semaines de bonheur ou sado-masochiste dans Encore ! Plus Fort !, les nouvelles de Fager établissent toutes, ou presque, un rapport glauque avec la sexualité. L'écrivain aime à explorer les contradictions sexuelles et s'amuse à écœurer son lecteur lors de scènes fortement évocatrices. Dans Trois Semaines de bonheur, le suédois marie la libido peu commune de Malin Månsson à des images répugnantes de créatures marines. Si la jeune femme ne possède pas de tentacule, l'odeur du varech et ses pieds palmés renvoient à une imagerie Lovecraftienne en diable. Surtout lorsque le secret de son mode de reproduction se révèle au lecteur. Encore une fois, Fager laisse son lecteur dans le flou, entretient le mystère et disserte avec un talent insolent sur un quotidien qui vire peu à peu à l'horreur. Cette habileté, on la retrouve également dans Encore ! Plus Fort !. Le suédois nous y décrit les mœurs sado-maso d'un couple improbable avant de glisser lentement mais surement dans une horreur sourde qui devient de plus en plus pesante au gré des pages. Comme toujours, il nous laisse apercevoir derrière ces récits des créatures aussi vieilles que malveillantes.


C'est encore le cas dans L'escalier de service. On y retrouve les obsessions de l'auteur pour le sexe avec cette machine délicieusement drôle pour l'époque, sensée libérer Elvira Wallin de la "tension accumulée". Celle-ci rêve toutes les nuits qu'elle descend l'escalier de service et que des choses innommables se produisent. Tout cela rend perplexe son docteur jusqu'au jour où il découvre quelle entité réside dans les fondations de la demeure. Pleine de tentacules et de perversion, l'histoire s’inscrit dans la droite ligne de ses prédécesseurs. Du moins excepté pour Un Point sur Västerbron qui joue la carte de l'étude scientifique. L'épais mystère qui entoure le suicide de cent cinquante et une personnes renferme assez de questions terrifiantes pour happer l'attention du lecteur. Une nouvelle fois, Fager entretient le suspense avec brio. Reste alors l'autre originalité du recueil : les Fragments.


Le volume en compte cinq. Il s'agit en fait de minuscules histoires (cinq à six pages) qui peuvent soit se rattacher à d'autres (notamment celle de Sofie dans Les Furies de Borås et celle de Malin dans Trois semaines de bonheur) soit constituer un écho troublant à un récit particulier (les deux textes évoquant le Voyageur font irrémédiablement penser à la chose dans le trou découvert par Liam.) Elles permettent de prolonger le plaisir mais également de bâtir un univers partagé qui trouve son accomplissement avec l'ultime texte du recueil : Le Bourreau Blond. On y retrouve pour la dernière fois Sofie la Veilleuse qui doit venir en aide à une autre société obscure. Ici, avec un plaisir certain, Ander Fagers résume ses obsessions, rend un hommage à Lovercraft et jette des ponts entre ses différents textes. Le récit est d'autant plus efficace que le suédois fait preuve d'un rythme soutenu dans son écriture avec des phrases courtes et rapides donnant une impression de fuite vers l'avant. Une sensation d'autant plus importante lorsqu'il aborde des scènes de sexe débridées ou des instants de terreur absolue.


Arrivé à la dernière page de l'ouvrage, une évidence s'impose : Anders Fager est un maître de l'horreur viscérale et du fantastique moite. Sans aucune faute de goût, Les Furies de Borås propose la synthèse d'une multitude d'éléments horrifiques de la façon la plus élégante possible. Proprement terrifiant la plupart du temps, le recueil incarne ce qui se fait de mieux dans le genre dans la droite lignée d'un Lovecraft ou d'un Barker. Désormais, on attend de pied ferme la suite des écrits de l'auteur. Les éditions Mirobole ont tiré une fameuse carte avec le suédois Anders Fager !"


 Just A Word - Nicolas Winter

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